Francis ponge
Le parti pris des choses
La cigarette
Rendons d'abord l'atmosphère à la fois brumeuse et sèche, échevelée, où la cigarette est toujours posée de travers depuis que continument elle la crée
Puis sa personne: une petite torche beaucoup moins lumineuse que parfumée, d'où se détachent et choient selon un rythme à déterminer un nombre calculable de petites masses de cendres
Sa passion enfin: ce bouton embrasé, desquamant en pellicules argentées, qu'un manchon immédiat formé des plus récentes entoure
Francis ponge
Le patient ouvrier
Des camions grossiers ébranlent la vitre sale du petit jour
Mal assis, Fabre, à l'estaminet, bouge sous la table des souliers crottés la veille. L'acier de son couteau, attaqué par la pomme de terre bouillie, il le frotte avec un morceau de pain, qu'il mange ensuite. Il boit un vin dont la saveur affreuse hérisse les papilles de la bouche, puis le paye au patron qui a trinqué.
A sept heures, ce quartier a l'air d'une cour de service. Il pleut.
Fabre pense à son wagonnet qui a passé la nuit dehors, renversé près d'un tas de sable, et qu'il relèvera brutalement, grinçant, décoloré, dans le brouillard, pour d'autres charges.
Lui est encore là, à l'abri, avec, dans une poche de sa vareuse, un carnet, un gros crayon, et le papier de la caisse des retraites.
Le compliment à l'industriel
Sire, votre cerveau peut paraître pauvre, meublé de tables plates, de lumières coniques tirant sur des fils verticaux, de musiques à cribler l'esprit commercial
Mais votre voiture, autour de la terre, promène visiblement paris, comme un gilet convexe, barré d'un fleuve de platine, où pend la tour eiffel avec d'autres breloques célèbres, et lorsque, revenant de vos usines, déposées au creux des campagnes comme autant de merdes puantes
Vous soulevez une tapisserie et pénétrez dans vos salons,
Plusieurs femmes viennent à vous, vêtues de soie, comme des mouches vertes
Douze petits écrits
3
Ces vieux toits
Quatre fois
résignés
ce hameau
sans fenêtre
sous les feuilles
c'est ton cœur
Quatre fois
racorni
ta sagesse
hermétique
O tortue!
Douze petits écrits
2
Quel artificier
tu meurs! fauve César!
Bigarre le parterre
aux jeux avariés
brandis ta rage courte
en torche! rugis rouge!
et roule mort gorgé
d'empire et de nuées !