Victor hugo
XXIV CLARTÉ D'ÂMES
CLARTÉ d'âmes
Sait on si ce n'est pas de la clarté qui sort
Du cerveau des songeurs sacrés, creusant le sort
La vie et l'inconnu, travailleurs de l'abîme
Voici ce que j'ai vu dans une nuit sublime
Cette nuit là pas une étoile ne brillait
C'était au mois d' eglad que nous nommons juillet
Et sous l'azur noir, face immense du mystère
Dans tous les lieux déserts qui sont sur cette terre
Forets, plages, ravins, caps où rien ne fleurit
Les solitaires, ceux qui vivent par l'esprit
Sondant l'éternité, l'âme, le temps, le nombre
Effarés et sereins, étaient épars dans l'ombre
L'un en Europe, l'autre en Inde, où, dans les bois
Cachant ses jeunes faons, la gazelle aux abois
Attend pour s'endormir que le lion s'endorme
Un autre dans l'horreur de l'Afrique difforme
Tous ces hommes avaient l'idéal pour objet
Et chacun d'eux était dans son antre et songeait
Ces prophètes étaient frères sans se connaître
Pas un d'eux ne savait, isolé dans son être
Et sa pensée ainsi qu'un roi dans son état
Que quelqu'un de semblable à lui-même existât
Ils veillaient et chacun se croyait seul au monde
Aucun lien entre eux que l'énigme profonde
Et la recherche obscure et terrible de dieu
Ils pensaient, l'infini sans borne et sans milieu
Pesait sur eux, pas un qui de la solitude
N'eut la mystérieuse et sinistre attitude
Pourtant ils étaient doux ces hommes effrayants
XXIII la légende des siècles
Je me penchais. J'étais dans le lieu ténébreux
Là gisent les fléaux avec la nuit sur eux
Et je criai: tibere ! - eh bien? Me dit cet homme
Tiens toi là - soit. - Néron ! - l'autre monstre de Rome
Dit : - qui donc m' ose ainsi parler?
Bien tiens toi là
Je dis : sennacherib ! Tamerlan! Attila!
Qu'est-ce donc que tu veux? Répondirent trois gueules
Restez là. Plus un mot. Silence. Soyez seules
Je me tournai: nemrod!
Quoi?
Tais toi. Je repris
Cyrus! Rhamses ! Cambyse ! Amilcar! Phalaris!
Que veut on?
Restez là puis passant aux modernes,
Je comparai les bruits de toutes les cavernes
Les antres aux palais et les trônes aux bois
Le grondement du Tigre au cri d'innocent trois
Nuit sinistre où pas un des coupables n'échappe
Ni sous la pourpre othon, ni gerbert sous la chape
Pensif, je m'assurai qu'ils étaient bien là tous
Et je leur dis: - quel est le pire d'entre vous?
Alors du fond du gouffre, ombre patibulaire
Où le nid menacé par l'immense colère
Autrefois se blottit et se réfugia
Satan cria: - c'est moi!
Crois tu ? Dis borgia
Le satyre suite
Ivre de leurs parfums, vautré parmi leurs gerbes
Il faisait une telle orgie avec les lys
Les myrtes, les sorciers de ses baisers pâlis
Et de telles amours, que, témoin du désordre
Le chardon, ce jaloux, s'efforçait de le mordre
Il s'était si crûment dans les excès plongé
Qu'il était dénoncé par la caille et le geai
Son bras, toujours tendu vers quelque blonde tresse
Traversait l'ombre, après les mois de sècheresse
Les rivières, qui n'ont qu'un voile de vapeur
Allant remplir leur urne à la pluie, avaient peur
De rencontrer sa face effrontée et cornue
Un jour, se croyant seule et s'étant mise nue
Pour se baigner au flot d'un ruisseau clair, psyche
L'aperçut tout à coup dans les feuilles caché,
Et s'enfuit, et s'alla plaindre dans l'empyree
Il avait l'innocence impudique de rhee
Son caprice, à la fois divin et bestial
Montait jusqu'au rocher sacré de l'idéal
Car partout où L'oiseau vole, la chèvre y grimpe
Ce faune débraillait la forêt de l'Olympe
Et de plus il était voleur l'aventurier
Hercule l'alla prendre au fond de son terrier
Et l'amena devant jupiter par l'oreille
Le satyre suite
Tout craignait ce Sylvain à toute heure allumée
La bacchante elle même en tremblait; les nappées
S'allaient blottir aux trous des roches escarpées
Écho barricadait son autre trop peu sûr
Pour ce songeur velu, fait de fange et d'azur
L'andryade en sa grotte était dans une alcôve
De la forêt profonde il était l'amant fauve
Sournois, pour se jeter sur elle, il profitait
Du moment où la nymphe, à l'heure où tout se fait
Éclatante, apparait dans le miroir des sources
Il arrêtait lycere et Chloé dans leurs courses
Il guettait, dans les lacs qu'ombrage le bouleau
La naïade qu'on voit radieuse sous l'eau
Comme une étoile ayant la forme d'une femme
Son œil lascif errait la nuit comme une flamme
Il pillait les appâts splendides de l'été
Il adorait la fleur cette naïveté
Il couvait d'une tendre et vaste convoitise
Le muguet, le troène embaumé, le cytise
Et ne s'endormait pas même avec le pavot
Ce libertin était à la rose dévot
Il était fort infâme au mois de mai, cet être
Traitait, regardant tout comme par la fenêtre
Flore de mijaurée et zephir de marmot
Si l'eau murmurait :j'aime ! Il la prenait au mot
Et saisissait l'ondee en fuite sous les herbes
( à suivre)
La légende des siècles le satyre
Le satyre
Prologue
Le satyre
Un satyre habitait l'olympique, retiré
Dans le grand bois sauvage au pied du Mont sacré
Il vivait là, chassant, rêvant, parmi les branches
Nuit et jour, poursuivant les vagues formes blanches
Il tenait à l'affût les douze ou quinze sens
Qu'une faune peut braquer sur les plaisirs passants
Qu'était-ce que ce faune? On l'ignorait, et flore
Ne le connaissait point, ni Vesper, ni l'aurore
Qui sait tout, surprenant le regard du réveil
On avait beau parler à l'églantier vermeil
Interroger le nid, questionner le souffle
Personne ne savait le nom de ce maroufle
Les sorciers dénombraient presque tous les Sylvains
Les aegipans étant fameux comme les vins
En voyant la colline on nommait le satyre
On connaissait stulcas, faune de pallantyre
Ges, qui le soir riait, sur le menale assis
Bos, l'aegipan de Crète, on entendait chrysis
Sylvain du ptyx que l'homme appelle janicule
Qui jouait de la flute au fond du crépuscule
Anthrops, faune du pinde, était cité partout
Celui-ci, nulle part, les uns le disaient loup
D'autres le disaient dieu, prétendant s'y connaître
Mais, en tout cas, qu'il fût tout ce qu'il pouvait être
C'était un garnement de dieu fort mal famé
( à suivre)