emily bronte
Cahiers de poèmes
7
Dans la suave minuit d'été
Une lune pure brillait à travers
La fenêtre ouverte du parloir
Et les rosiers mouillés de rosée
Je songeais assise en silence
Le vent caressait mes cheveux
Le ciel, me disait il est splendide
Et belle la terre en son sommeil
Point n'était besoin de son haleine
Pour m'inspirer de telles pensées
Mais toujours chuchotant il ajouta
Comme les bois vont être noirs
Mon murmure comme en rêve
Fait bruire les feuillages épais
Et leurs myriades de voix
D'âme semblent douées
J'ai dit va aimable chanteur
Ta voix tendre veut séduire
Mais ne crois pas qu'elle a pouvoir
D'atteindre mon esprit
Joue avec la fleur odorante
Le rameau souple du jeune arbre
Mais laisse mes sentiments humains
Suivre leur propre cours
L'errant ne voulait pas me quitter
Son baiser s'est fait plus ardent
O viens susurrait il
Je ferai malgré toi ta conquête
Ne sommes-nous pas des amis d'enfance
N'y a t il pas longtemps que je t'aime
Aussi longtemps que tu aimes la nuit
Dont le silence éveille mon chant
Et quand ton cœur reposera en paix
Sous la pierre du cimetière
J'aurai tout loisir de me lamenter
Et toi d'être solitaire
11 septembre 1840
Emily bronte
Cahiers de poèmes
6
La terre ne t'inspirerait plus
O rêveuse solitaire
Si la passion trahit, la nature
Cessera t elle d'incliner ?
Ton esprit toujours s'avance
Dans des régions pour toi obscures
Révoque sa vaine errance
Reviens demeurer avec moi
Je sais que mes brises sauvages
T'enchantent encore et t'apaisent
Je sais que mon soleil te charme
Malgré la volonté rebelle
Quand le jour dans le soir se fond
Et sombre au ciel de l'été
J'ai vu, en une tendre adoration
Ton esprit se prosterner
Je t'ai guettée à toute heure
Je sais mon puissant empire
Je sais mon magique pouvoir
De chasser tes chagrins
Peu de cœurs parmi les mortels
Sur terre languissent aussi fort
Mais nul ne désire autant un ciel
Plus semblable à cette terre
Alors laisse mes vents te caresser
Accepte moi pour compagne
Puisque rien d'autre ne peut te combler
Reviens demeurer avec moi
16 mai 1841
Emily bronte
Cahiers de poèmes
5
Pur à présent décline le soir d'été
Autour de ma maison, en splendeur adoucie
Le ciel sur son front sacré ne porte pas
Un seul nuage de mélancolie
La vieille tour, enchâssée dans la lueur d'or
Contemple d'en haut le soleil qui descend
Si doucement le soir se fond dans la nuit
Qu'on peut à peine dire le jour fini
Et c'est justement l'heure joyeuse
Où nous avions coutume de nous échapper
De secouer la tyrannie du labeur
Pour aller avec entrain jouer dehors
Alors pourquoi tout est-il si triste et seul?
Nul pas allègre dans l'escalier
Nul rire, nul accent pour donner cœur
Mais partout un silence sans voix
J'ai tourné sans fin dans notre jardin
Et il me semblait qu'à chaque tour
Des pas allaient venir à ma rencontre
Et des mots portés par les souffles
En vain- ils ne viendront pas aujourd'hui
Et le rayon du matin poindra aussi morne
Dites! Sont ils perdus à jamais , nos éclairs
De soleil dans les brumes du souci?
Mais non, l'espoir réprobateur assure
Qu'il est doux de pleurer les joies enfuies
Quand chaque orage voilant leur lumière
Prépare un plus divin retour
30 août 1839
Emily bronte
Cahier de poèmes
4
La campanule est la fleur la plus suave
Ondoyant dans l'air de l'été
Ses clochettes ont le suprême pouvoir
D'apaiser le souci de mon âme
Il y a dans la pourpre bruyère un charme
Trop violemment tristement cher
La violette a une haleine parfumée
Mais le parfum ne peut égayer
Les arbres sont nus le soleil est froid
Et peu si peu souvent visible
Les cieux ont perdu leur ceinture d'or
La terre sa robe de verdure
La glace sur le ruisseau scintillant
A jeté son ombre grise
Au loin collines et vallées semblent
Drapées d'une brume gelée
La campanule ne peut plus me ravir
La bruyère a perdu sa fraîcheur
Les violettes au fond du vallon
N'exhalent pas de douce odeur
Mais si j'ai regret de la bruyère
Il vaut mieux qu'elle soit loin
Je sais comme vite afflueraient mes larmes
A la voir sourire aujourd'hui
Et cette fleur sauvage qui si timide
Cache sous la pierre moussue
Son arôme et son œil mouillé de rosée
Je ne gémis point sur elle non plus
Mais sur la svelte et majestueuse tige
Le bleu argent des pétales
Que les boutons celaient tel un saphir
Dans un écrin d'émeraude
Ce sont eux qui versent sur mon cœur
Un charme calme et lénifiant
Qui s'il fait monter aux yeux les larmes
A pouvoir d'apaiser tout autant
Eux que je pleure, d'eux séparée si longtemps
Pendant le morne jour d'hiver
Pleure avec nostalgie mais surtout quand l'errance
Sur des rives flétries me conduit
Si glaciale alors la lumière décline
Au bas du morne ciel
Et dore le mur suintant et assombri
D'un lustre passager
Oh que je languis, oh que je soupire
Après la saison des fleurs
Et fuis cette lueur qui s'éteint
Pour lamenter les champs du pays
18 décembre 1838
Cahier de poèmes
2
Pour un instant, pour un instant
La foule bruyante est écartée
Je peux chanter, je peux sourire
Pour un instant j'ai congé
Où iras tu mon cœur harassé
Plus d'un pays à cette heure t'invite
Et des lieux proches, ou plus lointains
O front las, t'offrent le repos
Il est un coin parmi d d'âpres collines
Où l'hiver hurle, et la cinglante pluie
Mais si la lugubre tempête glace
Une lumière est là pour réchauffer
La maison est vieille, nus les arbres
Et sans lune ploie la voûte brumeuse
Mais est-il rien sur terre d'aussi cher
Pour l'exilé que l'âtre du foyer?
L'oiseau silencieux perché sur la pierre
La mousse humide gouttant sur le mur
L'allée du jardin envahie d'herbes
Je les aime tous- oh de quel amour!
Est-ce là que j'irai? Ou chercherai je
D'autres latitudes, un autre ciel
Où la langue est musique familière
Et parle en accents chers au souvenir?
Oui, comme je rêvais, la pièce nue
Le feu vacillant se sont évanouis
Et du fond de la maussade pénombre
Je suis passée à un jour lumineux
Une petite sente verte et perdue
Débouchant sur un vaste herbage
Au loin, bleuâtre, irréelle, une chaîne
De monts déployée alentour
Une terre si calme, un ciel si clair
Un air si doux, si tendre, si ouaté
Et, pour accroître encor la féerie
Des moutons sauvages broutant partout
Ce paysage- je le connaissais bien
Je connaissais tous les sentiers à la Ronde
Qui sinuant sur chacun des reliefs
Marquent les pistes des daims vagabonds
Si j'avais pu rester là rien qu'une heure
Cela m'eût payée des jours de labeur
Mais le réel a eu raison du rêve
J'entends qu'on tire mes verrous
Alors que je m'absorbais, l'œil ravi
Dans un si profond, si précieux délice
Mon heure de repos avait fui
Me rendant à l' épuisant souci
4 décembre 1838