paul Éluard
Poésie ininterrompue
II
Le poids d'un chien sortant de l'eau
Comme un sourire ému d'une brouille d'amis
Miroirs brisés miroirs entiers
Le poids toujours nouveau
D'une chatte duvet
Les griffes sous la mousse
Et le poids flamboyant
D'une chatte écorchée
Par un fourreau d'aiguilles
Le poids du jour qui réfléchit
Et qui s'arrête comme un âne
A chaque pas
Et je ramasse avec lui
Les miettes de son effort
Sempiternel
D'où sommes-nous sinon d'ici
Et d'ailleurs toujours en butte
A ce compte monotone
D'armées et de solitaires
Bain d'abeilles paravent
De la poussière immuable
Balance des hirondelles
Dans une poitrine vide
Ane chèvre jusqu'à l'herbe
Rat de la poupe à la proue
Rossignol jusqu'au déluge
Jusqu'aux étoiles éteintes
Sont pesants les rongeurs
Pesants comme une horloge
Et les poissons pêchés
Et l'hermine par sa blancheur
Et le lièvre par son repos
Je suis avec toutes les bêtes
Pour m'oublier parmi les hommes
Paul Éluard
L'âge de la vie
III
Pourtant ce tout petit miroir
Pour y voir en riant les deux yeux œil par œil
Et le nez sans rien d'autre
Et le bout de l'oreille et le temps de bouder
Ce miroir sans limites
Où nous ne faisions qu'un avec notre univers
Ce tout petit miroir où jouaient avec nous
Une par une mille filles
Mille promesses définies
L'âge de la vie
II
Nous avons eu huit ans nous avons eu quinze ans
Et nous avons vieilli noirci l'Aube et la vie
Les hommes et les femmes que nous n'aimions pas
Nous n'y pensions jamais ils ne faisaient pas d'ombre
Mais nous avons vieilli le gouffre s'est peuplé
Nous avons reproduit un avenir d'adultes
L'âge de la vie
I à René char
Matin d'hiver matin d'été
Lèvres fermées et roses mûres
Déchirante étendue où la vue nous entraîne
Où la mer est en fuite où la plage est entière
Soir d'été ramassé dans la voix du tonnerre
La plaine brûle et meurt et renaît dans la nuit
Soir d'hiver aspiré par la glace implacable
La forêt nue est inondée de feuilles mortes
Balance des saisons insensible et vivante
Balance des saisons équilibrée par l'âge