Raymond queneau
Courir les rues
Ultrafiltre
Les marches de l'escalier plus larges qu'une route menaient jusqu'à la porte de cèdre et, sur l'arete sablonneuse, se repercutait un chemin désuet, un peu mauve, qui filait vers l'horizon, disparaissant entre deux poteries. Paris avait bien changé ; on reconnaissait cependant des formes urbaines estompées et l'on avançait vers la station de métro, malgré la jungle la plus épaisse, la toundra la plus acérée, les amas de pots de chambre et une civilisation inculte et même évanescente
Raymond Queneau
Courir les rues
Projectile
Un poème qui ne vaut rien
Bon à mettre aux cabinets
Bon à foutre à la poubelle
On peut en faire une flèche
Une fusée un missile
Qui par la fenêtre file
Il trace dans les airs
Sa courbe lyrique
Puis retombe finalement
Aux pieds d'un surveillant
De la propreté vicinale
Attristé
Courir les rues
Il faut en faire son deuil
La RATP
Sème partout ses pastilles noires
On ne prendra plus l'autobus
Le dimanche
La RATP c'est évidemment
La revue des arts et traditions populaires
Courir les rues
Boucheries à la une
J'ai promené ma peine
Dans les rues de paris
Je la tenais en laisse
Pour que rie le titi
Porcherie fromagère
Étalage établi
Vitrine sanguinaire
Étal de boucherie
À tous les coins se vautre
Un veau plein de sanglots
C'est peut-être moi-même
C'est peut-être un jumeau
Je rengaine ma peine
Et m'assieds sur un banc
Pour lire les journaux
Qui racontent malheurs
Assassinats et crimes
Inondations séismes
Meurtres épidémies
Viols et violents trépas
Et ça ne me console mie
Et ça ne me console pas
Courir les rues
Les mouches
Les mouches d'aujourd'hui
Ne sont plus les mêmes que les mouches d'autrefois
Elles sont moins gaies
Plus lourdes, plus majestueuses, plus graves
Plus conscientes de leur rareté
Elles se savent menacées de génocide
Dans mon enfance elles allaient se coller joyeusement
Par centaines, par milliers peut-être
Sur du papier fait pour les tuer
Elles allaient s'enfermer
Par centaines, par milliers peut-être
Dans des bouteilles de forme spéciale
Elles patinaient, pietinaient, trepassaient
Par centaines, par milliers peut-être
Elles foisonnaient
Elles vivaient
Maintenant elles surveillent leur démarche
Les mouches d'aujourd'hui
Ne sont plus les mêmes que les mouches d'autrefois