Cahier de poèmes
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Pour un instant, pour un instant
La foule bruyante est écartée
Je peux chanter, je peux sourire
Pour un instant j'ai congé
Où iras tu mon cœur harassé
Plus d'un pays à cette heure t'invite
Et des lieux proches, ou plus lointains
O front las, t'offrent le repos
Il est un coin parmi d d'âpres collines
Où l'hiver hurle, et la cinglante pluie
Mais si la lugubre tempête glace
Une lumière est là pour réchauffer
La maison est vieille, nus les arbres
Et sans lune ploie la voûte brumeuse
Mais est-il rien sur terre d'aussi cher
Pour l'exilé que l'âtre du foyer?
L'oiseau silencieux perché sur la pierre
La mousse humide gouttant sur le mur
L'allée du jardin envahie d'herbes
Je les aime tous- oh de quel amour!
Est-ce là que j'irai? Ou chercherai je
D'autres latitudes, un autre ciel
Où la langue est musique familière
Et parle en accents chers au souvenir?
Oui, comme je rêvais, la pièce nue
Le feu vacillant se sont évanouis
Et du fond de la maussade pénombre
Je suis passée à un jour lumineux
Une petite sente verte et perdue
Débouchant sur un vaste herbage
Au loin, bleuâtre, irréelle, une chaîne
De monts déployée alentour
Une terre si calme, un ciel si clair
Un air si doux, si tendre, si ouaté
Et, pour accroître encor la féerie
Des moutons sauvages broutant partout
Ce paysage- je le connaissais bien
Je connaissais tous les sentiers à la Ronde
Qui sinuant sur chacun des reliefs
Marquent les pistes des daims vagabonds
Si j'avais pu rester là rien qu'une heure
Cela m'eût payée des jours de labeur
Mais le réel a eu raison du rêve
J'entends qu'on tire mes verrous
Alors que je m'absorbais, l'œil ravi
Dans un si profond, si précieux délice
Mon heure de repos avait fui
Me rendant à l' épuisant souci
4 décembre 1838